LESPINASSE Charles, Pierre

 

Né le 11 décembre 1885 à Mussidan (Dordogne), mort le 5 avril 1959 à Carcassonne (Aude) ; ingénieur des Travaux publics affecté au Canal du Midi (chef de la subdivision de Carcassonne) ; militant socialiste SFIO, franc-maçon ; résistant, déporté à Buchenwald le 17 janvier 1944, libéré en mai 1945.

 

Charles Lespinasse naquit dans une famille de petits artisans. Après ses études, il travailla quelques années avec son père qui exerçait la profession de carrossier ; ensuite, il présenta le concours de conducteur des Ponts-et-Chaussées. Nommé en 1910 commis à La Réole, il fut affecté l’année suivante à la subdivision d’Agen. Sous-lieutenant dans un régiment du Génie, il fut blessé sur le front de Champagne le 25 septembre 1915. Il fut fait chevalier de la Légion d’Honneur avec la citation suivante : « Officier d’une bravoure calme et réfléchie, d’un sang-froid admirable, a rendu les plus grands services par son habitude des travaux, sa valeur technique et son ascendant sur ses hommes. Gravement blessé d’une balle à la tête en étudiant le tracé d’une piste d’artillerie au travers des lignes ennemies conquises malgré le tir d’une mitrailleuse isolée qui gênait ses travailleurs. » Revenu à Agen après sa démobilisation, il épousa le 8 juillet 1919 Suzanne Clanet dont il aura deux enfants. Nommé au service des Canaux du Midi en avril 1920, il fut affecté à Carcassonne en tant qu’ingénieur. Initié le 13 janvier 1907 à La Démocratie charentaise (Angoulême), il s’affilia à la loge Les Vrais Amis Réunis dont il fut plus tard le vénérable. Il s’implique dans la vie politique locale. Aux élections municipales de 1935, il mena la liste socialiste mais, au deuxième tour, il refusa de figurer sur la liste d’union de la gauche car il n’avait pas admis les méthodes employées par les communistes. La liste radicale fut élue.

Charles Lespinasse fut un résistant de la première heure. Il fut l’un des organisateurs des manifestations républicaines des 14 juillet et 20 septembre 1942 devant la statue de Barbès à Carcassonne. Malgré les menaces de mort de la presse collaborationniste (notamment l’hebdomadaire Gringoire), il devint un des principaux animateurs du mouvement Combat et diffuse la presse clandestine. Ayant appris qu’il venait d’être inscrit sur une liste de 24 personnes à arrêter dressée par la Milice et envoyée au préfet, il décida de gagner Londres en passant par l’Ariège, l’Andorre et l’Espagne. Une patrouille allemande l’arrêta alors qu’il gravissait avec une dizaine de compagnons le sentier qui mène au port de Siguer, à la frontière franco-andorrane. Il fut incarcéré d’abord à la prison de Foix (Ariège), ensuite à la prison Saint-Michel de Toulouse, avant d’être transféré à Compiègne d’où il partit le 17 janvier 1944 pour le camp de Buchenwald puis Flossenburg. Avec une précision étonnante, il rédigea quotidiennement des notes ; ainsi, il retraça la vie dans les camps, brossa les portraits de nombreux compagnons d’infortune assortis de réflexions personnelles, dessina des plans de baraquements qui permettent d’avoir une idée de ce qu’était l’organisation du camp. Déjouant les fouilles, il était parvenu à cacher soigneusement ces notes qu’il a remises en forme à son retour. Malheureusement elles n’ont pas été publiées mais le manuscrit Quinze mois à Buchenwald peut être consulté à la B.M de Carcassonne.

Libéré le 23 avril 1945, il fut hospitalisé pendant un mois dans un hôpital américain en Allemagne ; le 28 mai, il arrive à Carcassonne. « Je descendais du wagon dans un état de faiblesse lamentable. La barbarie nazie avait fait de moi un homme diminué, au visage barbu, ne portant sur ses os qu’une peau infiniment petite. J’avais l’aspect d’un vieillard qui conserve la vie par son regard, son bon moral, sa confiance. J’oubliais un instant que j’étais un déporté dans un état physique impressionnant, sinon effrayant par ma terrible maigreur. » Lespinasse reprit, après quelques mois de repos, ses activités d’ingénieur au Canal du Midi jusqu’à sa retraite le 1er juillet 1949. Aux élections municipales d’octobre 1947, il mena à Carcassonne la liste SFIO qui subit un échec sévère qu’il ne supporta pas. Il abandonna aussitôt son mandat de conseiller. Faute de majorité stable, le conseil municipal fut dissous le 17 mars 1950. Lespinasse fut nommé membre de la délégation spéciale chargée d’administrer la ville : ce sera sa dernière participation à la vie politique de Carcassonne. Son état de santé se dégrada car il avait contracté en Allemagne la tuberculose. Il abandonna ses fonctions dans plusieurs associations, notamment les HLM de l’Aude dont il présidait le conseil d’administration. Fin 1953, il quitta sa charge de vénérable des Vrais Amis Réunis qu’il avait occupée au total pendant une vingtaine d’années. Une des dernières manifestations à laquelle il participe est le congrès de l’Association des combattants volontaires de la Résistance qui se tint à Carcassonne le 5 décembre 1954 : le général Ginas, compagnon de la Libération, lui remit la croix de Commandeur de la Légion d’Honneur. Trois ans plus tard, en septembre 1957, Lespinasse fut élevé à la dignité de Grand Officier. Il décéda le 5 avril 1959. Au cimetière deux discours furent prononcés par Pierre Rives, au nom des déportés, et Jules Fil*, maire de Carcassonne, qui déclara notamment : « Le devoir, c’était pour lui le mot clé qui réglait sa conduite et quand il avait choisi plus rien ne pouvait le déterminer à revenir en arrière. »

 

SOURCES : Arch. Nat., centre de Fontainebleau, Légion d’Honneur, dossier Lespinasse. — Archives des Voies navigables de France à Toulouse, dossier Lespinasse. — Archives du Grand Orient de France ; loge Les Vrais Amis Réunis. — Archives départementales de l’Aude, série M. — État-civil de Mussidan et de Carcassonne .Le Midi Libre, 6 avril 1959. — Paul Tirand, Les Vrais Amis Réunis, une loge maçonnique carcassonnaise à l’aube de ses 150 ans, Carcassonne, Imprimerie Gabelle, 2011, 320 p.

 

Paul TIRAND